Accueil L’oulipien de l’année Mœurs des maliettes
Cœur farci de maliette

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Nous en savons peu sur les mœurs des maliettes et encore moins sur cette recette, les chefs initiés sont rares et gardent jalousement leurs secrets de cuisine. La légende laisse entendre que son origine viendrait d’un certain village et de l’erreur d’une arrière grand-mère, bonne mal embouchée qui aurait confondu cœur de maliette avec pied d’alouette. On peine à y croire vu la sophistication du précieux met.

Préparation

– Le chef seul sera habilité à choisir la maliette offerte en sacrifice. Il devra arpenter la lande en silhouette de poète, le regard vague et de façon éloignée pour ne pas effaroucher les fragiles volatiles.
– Son choix établi, il devra s’approcher doucement de la pauvrette et la saluer en soulevant son chapeau. Voilà, vite et bien fait ! L’oiselle ainsi trépassée ne verra pas sa chair gâtée par un stress trop appuyé.
– La caresse d’un doigt suffira ensuite à la déshabiller de ses plumes vaporeuses.
– Il ne restera plus qu’à la saisir avec son lit d’herbes sauvages qui serviront à la farce, la maliette ayant le réflexe archaïque, inné, de préférer les plantes en harmonie avec son essence même. Découverte faite par les papilles gustatives particulièrement affûtées d’un cuisinier, mais non prouvée par les scientifiques donc non reconnue comme mœurs.
– Pour la recette proprement dite, tout n’est que supposition. On peut imaginer, que le cœur bien dilaté sera rempli d’un hachis des chairs, mélangé aux herbes d’une façon savante et cuit à feu très doux jusqu’à réduction presque totale, les sucs imprégnant le sauvage végétal.
– La boulette résiduelle sera alors posée avec délicatesse et à la pince à dresser au milieu d’une feuille de papier couché illustré d’eaux fortes en couleurs, œuvre d’un grand maître animalier. Une plume rouge du poitrail en sera la note tonique. Une virgule et 3 gouttes d’un jus concentré ponctueront la composition.

Règles à respecter

– Ce met délicat s’adressera aux esthètes et aux snobs.
– Il sera cuisiné sur commande spéciale par message codé.
– Il devra figurer à la carte en filigrane pour évoquer son évanescence de façon subtile.
– Il sera présenté au snob, sous un suaire de chez Dior. Libre à lui se le nouer autour du cou ou de se mettre sur la tête comme un vulgaire bâfreur d’ortolan.
– Le sommelier saura conseiller au snob un vin rouge fruité et léger d’Anjou en fonction de la farce utilisée. Ceux-ci ne manqueront pas se gargariser bruyamment avec des airs de connaisseurs. L’esthète refusera toute boisson, par crainte de voir sa dégustation corrompue.
– L’esthète sera recueilli, tout à la jouissance de cette expérience transcendantale. Certains léviteront, la prudence sera alors de leur lier la cheville d’un fil de soie accroché à la chaise.
Si la facture ne suffit pas à les faire redescendre sur terre, il sera bon de les accrocher dans une pièce attenante, calme, avec lumière tamisée ou mieux, aux fenêtres ornées de vitraux.
– Il sera inutile de féliciter le chef car il aura liquidé une tendre maliette, ceci à la limite de la légalité. Il en portera donc seul la responsabilité. Sachez qu’il saura vous le faire payer et que la note sera très salée. Il l’accompagnera d’un sourire et d’un verre d’eau du robinet. Pas de regrets sur ce point, elle sera peut être moins polluée qu’une eau de source en bouteille.
En sortant, le snob le sera plus encore, comme le chantera si bien Boris à la plonge dans la cuisine. Snob si hautain que le portier ne résistera pas à lui faire un croche-patte à sa sortie. Une élégante pirouette le sortira de ce mauvais pas, car tomber relève du banal, du commun, du populaire, ce que le snob déteste plus que tout.