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Atelier d’écriture valise (1)
— C’est bon, vous avez tous terminé ?
— Quoi, déjà ? Mais je n’en suis qu’au septième vers.
— Comment ça, au septième ? J’avais demandé d’écrire un quatrain.
— Ah bon, il ne fallait pas faire tout un sonnet ?
— Mais non, je vous ai lu des sonnets pour vous montrer comment fonctionne le livre de Queneau, mais nous on a dit qu’on ferait juste un quatrain.
— Ah, j’avais pas compris. Alors c’est bon, j’ai terminé.
— Tu veux nous lire ton premier vers ?
— C’est moi qui dois commencer ?
— Seulement si tu veux, il n’y a pas d’obligation tu sais.
— Alors je préfère passer après.
— Moi je veux bien lire mon premier vers, mais il n’est vraiment pas terrible. Je suis sûr qu’il y en a d’autres qui ont fait beaucoup mieux.
— Ah non, tu connais la règle : on ne se vante pas ! Tu nous lis juste ce que tu as écrit, sans commentaires, et après si tu veux on en discute tous ensemble.
— Bon, bon, d’accord. Alors voilà : « Il se penche pour attraper sa valise. »
— Oui, c’est très bien. Juste un détail, il manque une syllabe.
— Comment ça, il manque une syllabe ?
— Oui, si j’ai bien entendu il n’y en a que onze.
— Mais non : il - se - pen - cheu - pour - a - ttra - per - sa - va - li - zeu, ça fait bien douze.
— Ah non, la dernière syllabe c’est un e muet, elle ne compte pas.
— Comment ça, elle ne compte pas ? Tu nous as dit que les e muets comptaient sauf s’ils étaient suivis par une voyelle.
— Pas tout à fait. J’ai dit que les e muets comptaient seulement s’ils étaient suivis par une consonne.
— Ben oui, c’est la même chose.
— Pas vraiment. Ici, « lise » n’est suivi de rien du tout, donc il n’est pas suivi d’une consonne.
— Mais c’est parce que tu m’as fait lire seulement le premier vers. Mon deuxième vers, il commence par une consonne.
— Non non, ça ne marche pas comme ça. On compte chaque vers séparément. Un e muet en fin de vers, ça ne compte jamais.
— Tu aurais pu le dire avant ! Je ne pouvais pas deviner.
— Désolé si je n’ai pas été assez clair. Mais c’est pas grave, on peut modifier un tout petit peu ton vers pour ajouter une syllabe. Qui a une idée ?
— On pourrait mettre « une » à la place de « sa » : « Il se penche pour attraper une valise. »
— Je croyais qu’il fallait ajouter une syllabe ? « Une » ça ne fait qu’une seule syllabe, comme « sa ».
— Mais non, le e muet de « une » il compte, puisqu’il est suivi de « valise » qui est une consonne.
— Valise, c’est pas une consonne, c’est un bagage.
— Ah c’est malin. Tu sais très bien ce que je veux dire : valise, ça commence par une consonne, donc « une » se prononce « u - neu » en deux syllabes.
— OK alors c’est bon, on a un alexandrin : « Il se pen-cheu pour attraper u-neu valise ». On passe à la suite ?
— Attends, c’est pas encore tout à fait un alexandrin.
— Comment ça, pas tout à fait ? Il y a douze syllabes ou il n’y en a pas douze ?
— Oui, il y a bien douze syllabes, mais ça ne suffit pas pour en faire un alexandrin. Vous vous rappelez ce que je vous ai expliqué, après le compte des syllabes ?
— Moi je sais : il faut une césure.
— C’est ça. Une césure entre la sixième et la septième syllabe. Dans ton vers, là, il n’y en a pas, ça tombe au milieu du mot « attraper ».
— On est vraiment obligé de mettre une césure à tous les vers ?
— On est jamais obligé de rien. Chacun fait ce qu’il veut. Mais là, pour cet exercice, la consigne c’était de respecter les règles des vers classiques, comme Queneau. Alors oui, il faut une césure dans chaque vers.
— OK, j’ai une idée : si on ajoute une syllabe dans la première moitié du vers et qu’on en enlève une dans la deuxième moitié, ça va décaler le mot « attraper » et il y aura une césure juste avant.
— Mais oui, très bonne idée. Qu’est-ce que tu proposes ?
— Au début on pourrait remplacer « pour » par « afin », et à la fin on remet « sa » à la place de « une ». Ça donne : « Il se penche afin d’attraper sa valise ».
— Pas de chance, il manque encore une syllabe.
— Comment ça ? Ça ne se peut pas, j’en ai ajouté une et enlevé une.
— Oui, mais maintenant « penche » est suivi d’une voyelle, donc il ne compte plus que pour une syllabe et pas deux.
— Ah merde, c’est trop compliqué ton truc. Alors il faut encore en rajouter une ?
— Oui. Qu’est-ce que tu proposes ?
— Je sais pas... On pourrait remplacer « afin » par « dans le but », ça fait trois syllabes au lieu de deux : « Il se penche dans le but d’attraper sa valise ».
— Ce coup-ci il y a une syllabe de trop. Tu as remis une consonne après « penche », donc il compte de nouveau pour deux.
— Mais c’est insortable cette histoire ! Comment tu veux qu’on arrive à faire à la fois douze syllabes et une césure ? C’est pas possible !
— Ils écrivaient vraiment comme ça, les poètes, avant ? C’étaient des malades !
— Oui, et pas seulement les poètes. Pense aux tragédies classiques en vers : des milliers d’alexandrins qui respectaient tous ces règles, plus encore d’autres règles dont je ne vous ai même pas parlé. Et en plus ça racontait une vraie histoire avec une intrigue, des grands sentiments et tout ça.
— Ils étaient vraiment malades, je te dis.
— Bon, si on revenait à notre exercice ? On n’en est qu’au premier vers et il n’a toujours pas les bonnes syllabes.
— Attendez, on va examiner ça logiquement, plutôt que d’essayer des trucs au hasard. Pour la deuxième moitié du vers, on peut garder « attraper sa valise », c’est pas mal. Si on garde « il se penche » pour commencer, ça occupe trois ou quatre syllabes de la première moitié, selon que c’est suivi d’une voyelle ou d’une consonne. Comme on doit arriver à six syllabes pour cette première moitié, on a le choix pour compléter : soit trois syllabes qui commencent par une voyelle, soit deux qui commencent par une consonne. Vous comprenez ?
— Moi j’ai rien compris du tout. Ça me prend la tête tes histoires. Je suis venu ici pour faire de la poésie, pas des maths.
— Tu étais quand même prévenu que c’était de la poésie à contraintes, non ?
— Oui, mais si j’avais su que ça voulait dire faire des maths, je serais allé dans l’autre atelier. Ils ont l’air de bien rigoler, dans l’autre salle.
— Bon, tu as raison, on va pas passer toute la soirée sur ce vers. Je vous donne une solution possible qui respecte les règles et après on continue, d’accord ?
— OK, c’est quoi ta solution ?
— Je propose : « il se penche il voudrait attraper sa valise ».
— Ça veut rien dire : « il se penche il voudrait ».
— Mais si : il se penche, virgule, il voudrait attraper.
— Ah bon, il y a une virgule ?
— Oui mais elle est sous-entendue. On a dit qu’on écrivait dans le style de Queneau, et Queneau il ne met pas de ponctuation dans ses poèmes.
— Jamais ? Pourquoi il n’en met pas ?
— Je ne sais pas. Pour faire moderne, je suppose. Il respecte les règles de la poésie classique mais en même temps il joue avec les codes d’une façon très contemporaine. C’est comme ça, c’est son style.
— C’est vraiment un tordu, ce type. Enfin bon, c’est pas mon problème. On continue ?
— OK, qui veut nous lire son deuxième vers ?... Personne ?...
— Moi je veux bien, mais du coup je ne suis plus sûr que ça respecte bien toutes les règles.
— On va voir ça. Lis-le nous déjà comme tu l’as écrit.
— « Qu’une bande de voleurs voulait lui voler. »
— Bravo, c’est très bien. Il y a juste quelques détails à corriger. Déjà, on avait dit que ça devait rimer en « o », tu te rappelles ?
— Ah bon, c’était obligé ? Je croyais que c’était juste comme ça dans le livre de Queneau mais qu’on pouvait faire ce qu’on voulait.
— Oui, oui, tu as raison, on peut faire ce qu’on veut. Chacun fait ce qui lui plaît, pas de problème. Tout ce qui compte c’est qu’on se fasse plaisir en écrivant de la poésie. Et puis il est l’heure, on va aller retrouver les autres et écouter ce qu’ils ont à nous lire. Merci pour votre participation, c’était vraiment super.