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Annan et le choix de plume
Quatre fraîches nuits de tapis volant vous ont laissés sur les hauteurs d’Annan, no man’s land des Matières Fugitives. La terre jamais stable accroche des substances de prairie et de ciel, et retient une épaisse gadouille à la pâleur de glaise qui commence par suinter des sous-vêtements. Ses gargouillis inopinés reviennent sans cesse au point d’imposer le silence dans les champs. Le Traité de la Pomme de Terre se garde bien de préciser que si la matière consentait une nuit à être aspirée, les fondations de tous les hameaux d’Annan seraient faites.
Hors Annan, la nuit de la dernière sécheresse d’automne, le vieillard qui a déjà perdu dix secondes dans le siècle pousse nécessairement une plume d’or dans une valise de cuir.
Sous cette plume est effacé son passé d’enfant. La mémoire ignore aussi bien ses loisirs d’antan, l’anonymat de son (ou de sa) rivale, l’insuffisance de ses parents que le lieu de sa naissance. Aucun choix n’est funeste ou dur, aucun d’une apaisante originalité, aucun pour commencer n’est calme et laiteux. Mais aussi heureux soit-il, tous les étrangers d’Annan y renoncent mathématiquement, avec douceur et résignation.
Nous avons caché notre indifférence à notre otage. Il a grimacé.
— Choisir la moins comique des possibilités est accablant, si on ignore qu’on est coupable du bonheur d’autrui.