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Zazie dans le rétro
Jusque là, j’étais bon. Jusqu’au troisième lacet. Ce matin, i’ m’a dit, Paulo : t’inquiète, j’ai mis un capteur sur toutes les bécanes des pancartes, tu sauras tout en grimpant, pas la peine de t’ retourner, tu regardes ton rétro. C’est tout. D’accord que j’ dis, j’ mordrai dans le guidon, i’ verront tous mes pédales par l’arrière. Et lui, Paulo : t’allumeras le rétro dans le troisième lacet du Mallet, pas avant ! Et c’est parti. Tant que ça déroulait du plat, j’allongeais les tibias sur les manivelles, j’ me chantonnais des p’tites chansons, ça empêche l’ vent d’entrer dans la cervelle. J’ roulais en facteur quoi ! Le peloton, ça vous fout un sacré coup de vent aux trousses. C’est l’ vent relatif qu’il dit Paulo. Un peloton, c’est une usine qui fabrique du vent, qu’il ajoute, sacré Paulo ! Et pis v’là que j’ déboule dans l’ troisième lacet en tête, sur d’ la bracasse dans l’ raidard, et qu’ j’allume ce foutu rétro, sacré GPS de l’inverse puisqu’il vous dit tout c’ qui se passe derrière, et non devant ! Au début y a rien, à croire qu’il faisait du brouillard à l’arrière. Et pis une drôle de silhouette sur l’écran, j’ai d’abord cru à une amazone. Mais non, ça montait pas à cru, c’était dans la ligne, juste un peu d’ travers. Et pis j’ vois pas l’ numéro, mais y a quelqu’un sur une bécane, c’est sûr ! Et ça fait des zigzags sur la route, un train d’enfer on dirait. Et v’là qu’ j’entends « Zazie, Zazie », alors que j’ croyais qu’on m’ disait « Vas-y, vas-y » J’ai compris, c’est Zazie qu’est derrière, j’ai Zazie dans l’ rétro ! Y z’ont abaissé l’âge à 14ans c’ t’ année pour l’ tour, pour qu’elle prenne l’ départ. Sacrée fillette ! Une majorette dans l’ Mallet, fallait y penser. Jusque là, l’ tour m’allait, moi ! Mais quand j’ vois c’ t’ élancée qui grimpe comme une sauterelle accrochée à ses cocottes, j’ai failli coincer. Mais non, que no ! Que no, sir ! Faut aller chercher dans les derniers bouts de tripe accrochés aux fins fonds des tergiversations que j’ vous dis ! Y a rien qui dérape, faut qu’ ça sorte. Tant qu’y a d’ l’ huile dans les bielles, ça doit tourner. Pas d’éclat, en avant à droite toute ! C’ braquet d’enfer, i’ coincera pas. Et me v’là comme un possédé du diable avec un frelon au derrière. J’ sais même plus si j’ respire, je n’ vois que c’ rétro tout blanc avec c’ t’ image de cirque d’une trapéziste à vélo qui grimpe sans efforts, la peau sèche ! Et pis, v’là que j’ prends un vent glacial dans la pipe, et rien pour m’ planquer : tant mieux que j’ me dis, va falloir qu’elle baisse la tête aussi Zazie ! C’est Zazie dans l’ zéro que j’ veux voir ! J’hallucine, j’ vois la ligne d’arrivée, le sommet, les p’tits drapeaux, les bouquets, le p’tit Paulo…
Y avait une vidéo dans l’ rétro ! Sacré Paulo !
Tiré de Zazie dans le rétro, anonyme du XXe siècle.