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Récit de Verdethêramène
A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char ; ses fidèles guerriers
Murmuraient en silence au milieu des mûriers ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes mûrons, qu’on voyait autrefois
Scintillant d’un noir d’encre et fermes comme noix,
Blanchâtres maintenant, et la chair affaissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable bruit, comme sorti des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et, du sein de la terre, une voix formidable
Répond en gémissant à ce bruit redoutable.
Jusqu’au fond de nos coeurs notre sang s’est glacé :
De feuilles mastiquées c’était le cri poussé.
Cependant, des mûrons suintait certain liquide,
A la saveur sucrée, à la froideur humide ;
Ce poison sans alcool vient vomir à nos yeux,
Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
Son abdomen armé de glandes menaçantes,
Tout son corps est couvert d’une soie repoussante ;
Indomptable asticot, vermisseau impétueux,
Son épaule s’enroule en un cocon tortueux ;
Ses longs mugissements font trembler le feuillage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ;
La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
L’arbre qui le porta recule épouvanté.
Tout fuit ; et, sans s’armer d’un courage inutile,
Près d’un tombeau voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un coup porté d’une main sûre,
Dévide au flanc du ver une large épissure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Lâche aux pieds d’Aricie un fil en mugissant,
Le tisse, et lui présente une robe enflammée
Qui la couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur la saisit ; elle perd à la fois
Sa beauté, son allure et sa divine voix.
En efforts impuissants son amant se consume ;
Il lui creuse une tombe en ruisselant d’écume.
On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,
Une robe de soie gisant au sol poudreux.
A l’écart du mûrier la peur nous précipite,
L’arbre crie et se rompt : l’intrépide Hippolyte
Voit son malheureux corps par le ver fracassé ;
Puis dans un fil de bave il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur : cette image cruelle
Est pour moi de murmure une source éternelle.
Jean-Jacques Rabaud et Nicolas Graner
Par Nicolas Graner
(si vous n’avez plus en tête la version préliminaire de 1676, elle se trouve par exemple à perso.wanadoo.fr/jmpetit/)