Accueil L’oulipien de l’année Oublier Clémence
Perdre Clémence de vue

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Clémence ne rappelle guère une héroïne littéraire.

Je me représente quelle tâche elle réalise, je récapitule le répertoire technique que nécessite cette métamorphose de chrysalide devenue fibre de soie susceptible de tissage. Elle asphyxie le minuscule insecte encore embryonnaire (cette étape mortifère utilise une étuve de haute température), le retire de cette enceinte torride, le dépose de manière que chaque plaque subisse le trimestre de séchage obligatoire (source de fatigue supplémentaire : elle retourne le groupe chaque semaine, ce geste accélère le drainage), ensuite elle charge une bassine de saumure bouillante, jette le cylindre de soie, plonge une phalange chargée de le prendre, le défaire, extraire une fibre de qualité supérieure, que notre ouvrière presse comme une mèche, bobine, enroule, pelote, prépare telle que le demande une machine de tissage.

Une corvée écrasante, harassante, une industrie textile naguère typique de notre campagne, délocalisée, devenue usine lyonnaise. Pleine de pestilence de chrysalide putride, de fluide surchauffé, une atmosphère de manufacture emplie de bourre de soie, fenêtre fermée de crainte de perdre le moindre atome de précieuse marchandise. Une besogne de femme.

Michèle Audine, Oublie Clémence (Gallimare, 2016)


Chaque terme possède une lettre E finale (*). Cette contrainte féminine rappelle le rôle de femme que raconte le texte (**).

(*) Sorte de télostiche.
(**) Note de Nicole Granere.