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Ma mamie
Le corps de ma mamie est apaisé dans sa robe à fleurs blanches et bleues. Je surprends un chapelet entre ses doigts, objet que je ne lui connaissais pas, encore moins une foi dans la prière. Je ne vois pas encore son visage.
Les mains de ma grand-mère sont des mains d’ouvrière, robustes, la peau du bout des doigts striée, de petites griffures noires ont remplacé les empreintes digitales, impossible à savonner, ça reste. Des mains à aller tirer les patates dans le jardin ; elle les cuit à la peau dans une eau saturée de sel jusqu’à évaporation complète. Les cristaux blancs restent accrochés à la pelure noircie au fond de la casserole. Les pommes de terre sont déposées ensuite à même la table en bois, y a qu’à se servir, vite vite, « prends la fourchette tu vas te brûler ». Elles ont la chair plus jaune que le beurre frais qui glisse et fond sur leurs moitiés coupées, symétriques.
L’apaisement dans la chambre funéraire laisse comme la satisfaction du travail bien fait, tout simple. " Mes mains ? Elles en ont vu d’autres, tiens ! ", les cocons de bombyx, elle me les avait racontés, " fallait tenir, ça coûte cher, la soie ".
Ma petite mamie loin des cris, des puanteurs, des agacements, des colères, revenue à l’essentiel, à ces paroles et à ces gestes alors que mon regard remonte jusqu’à son visage, la bouche et les yeux sont fermés.