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Le festin pierreux
Trois chameliers ahanant toute la journée dans un conduit régional,
suffoquent, paysans éternels.
L’air de rien, leurs mouvements transmettent au conduit une fine
poussière couleur rubis qui finit par entraver tous les piètements. Leurs
sifflements lancinants ne finissent point d’empêcher toutes les
conversions du désert vers l’océan. La hauteur des roses des sables est
telle qu’au cas où les vents devraient un jour souffler dans toutes les
villes d’Antan, leurs murs s’affronteraient.
En ahanantoù il le peut au premier jour du printemps , l’enfant
chamelier qui va avoir dix dents dans moins d’un an sort au hasard un
tissu hors d’un sac de cailloux.
Sur un caillou est écrit son avenir lointain. Sur le tissu son futur
métier, qui sera son serre-joint, enfin combien lui-même il lui faudra
d’enfants au moment où il mourra.
Leurs destins sont certainement doux, d’autres dénués d’heures, eux.
Quelques-uns se sanglent enfin en tumulte . Mais aussi terribles soient
tous ces sahariens, ils ahanent point par point, conformes et sans
dégoût ni rébellion.
Nous en avons fait part aux chamelières au grand étonnement. Elles ont
souri : vu l’état de leurs denture, et de leur mari la monture, souscrire
à un festin des plus pierreux n’est rien, si l’on sait qu’on meurt
innocent d’un tel crime.
Cités par coeur - Henri Du Tellier