Accueil • L’oulipien de l’année • La Peinture à Dora •
La peinture à Dora (lipogramme en S)
À la tombée du jour de préférence, j’aime beaucoup me livrer à ce genre d’exercice. Par malheur, mon tableau ne dure généralement qu’une minute ou deux, voire à peine une fraction. Par analogie avec la radio-activité, il a une « période » allant de celle du Thorium A (0,0022 min) à celle du Radium C (4 min). Tout part en lambeaux avec rapidité, comme une trainée de pluie derrière une vitre, et même un authentique chef-d’oeuvre finit par couler comme un camembert. En général, découragé, j’abandonne tout intérêt pour cette création trop liquide et je change de préoccupation. Il m’arrive pourtant de m’accrocher, je m’efforce de le remanier et à partir de la dépouille d’un tableau en capilotade j’en fabrique hâtivement un autre, qui ne durera guère davantage.
Raymond Queneau, La Peinture à Dora - L’Échoppe, 1999.