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La nuit naturaliste
Dans la plaine rase, sous la nuit piquetée d’étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Lille-Fives à Béthune, quarante kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de janvier, des rafales larges comme sur une mer dont il savait que pourtant par ici elle manquait, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Mais au moins, dans ce grand air, il respirait. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec l’infinitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres.
L’homme était parti de Lille-Fives vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes aux ongles mal soignés que les lanières du vent d’est faisaient saigner. Une seule idée occupait la vacance de sa tête vide de chauffeur-routier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres vers Béthune, il aperçut des lueurs rouges, un brasier brûlant au plein air, et comme suspendu. D’abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains et de s’approcher de ce feu qui l’hypnotisait. Désormais plus rien d’autre ne comptait, et ne plus voir la nuit ni les étoiles qui déjà n’existaient plus.
Jouerminal (les Rougon-Mek’Ouyes) – Dans cette ouverture, Emile Z(azie) raconte l’arrivée de son protagoniste Mek’Ouyes, dit l’Entier, à Béthune chez les Testut.