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La nuit dialogue
L’enfant : Papa, alors on l’allume ce feu ?
Le père : La nuit... quand nous aurons allumé le feu, nous ne pourrons plus voir la nuit.
L’enfant : Mais si ! Justement je veux voir la nuit ! Pour voir quelque chose, il faut de la lumière, et donc aussi pour voir la nuit. Le feu, ça fait de la lumière.
Le père : Quand il y a le feu, il n’y a plus que le feu qui compte.
L’enfant : Fais tes comptes si tu veux, mais moi je verrai la nuit et je verrai le feu.
Le père : Le feu est un hypnotiseur.
L’enfant : C’est quoi un ipotiseur ? Je m’en fiche des ipotiseurs. Moi je veux voir le ciel la nuit avec un feu pour m’éclairer !
Le père : Ce soir, regarde, le ciel a chassé tous ses nuages pour nous !
L’enfant : Tu mens ! Tu ne peux rien voir puisqu’il n’y a pas de lumière, et le ciel ne va pas à la chasse...
Le père : Il a fixé au plafond ses punaises de cuivre !
L’enfant : Non ! Il n’y a pas de punaises, les punaises ça sent mauvais quand on les écrase. Et même avec la lune...
Le père : Avec une lune élégante !
L’enfant : C’est pas vrai ! La lune, elle est tordue, mal arrondie ...
Le père : En arrondi d’ongle soigné.
L’enfant : Je m’en fiche des ongles ! Je me les ronge moi les ongles ! En plus j’ai froid ! Je veux qu’on allume le feu ! Sans feu...
Le père : Il n’en fait que plus frisquet, bien sûr...
L’enfant : Tu vois, toi aussi tu as froid !
Le père : Mais on respire !
L’enfant : Toi le feu t’empêche de respirer ?
Le père : Mais on s’aère !
L’enfant : De l’air ? De l’air ? Mais il y en a partout de l’air, surtout en vacances et donc...
Le père : C’est les vacances et le camp de vacances !
L’enfant : C’est pas un vrai camp de vacances, y a pas la mer !
Le père : C’est vrai qu’il manque la mer...
L’enfant : Tu vois ! Il manque la mer et il manque le feu ! Je veux voir le feu avec ses étincelles !
Le père : Mais le ciel n’est pas mal non plus...
L’enfant : Encore le ciel ! Viens ! On va faire un grand cercle...
Le père : Comme image de l’infinitude ?
L’enfant : On fait un cercle et après on fait le feu. Tu n’as pas oublié les allumettes ?
Le père : On ne s’attendait pas à partir en vacances aussi vite...
L’enfant : Tu mens ! On avait prévu de partir en vacances depuis longtemps !
Le père : Et peut-être aussi longtemps...
L’enfant : On ne peut pas rester ici longtemps sans feu !
Le père : Regarde cette étoile, je la vois, tu la vois.
L’enfant : Sans feu, on ne peut pas voir les étoiles !
Le père : Et pourtant elle n’existe plus !
L’enfant : Non ! Je ne te crois pas ! C’est le feu qui n’existe pas !
Le père : S’il faut en croire les affaires de vitesse de la lumière !