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Hybridation salonescolucasienne
Le granit est compact. Lisse. Superbe. Je te flore.Parfois, pas la moindre fissure pour le barrer. Tu me faune.Pas le moindre trou pour lui dessiner un œil. Je te peau.Pas la moindre arête pour l’échancrer. Je te porte.Il bombe le torse. Et te fenêtre.Et la voie s’appelle The Shield, le bouclier.Tu m’os.Lorsque les aspérités font défaut et que toute pose de matériel d’assurage et de progression est impossible. Tu m’océan.Il reste un moyen. Tu m’audace. Unique. Tu me météorite.Ultime. Je te clef d’or.La réserve des grands cas. Je t’extraordinaire.Vous prenez un crochet à goutte d’eau. Tu me paroxysme.C’est un simple crochet de métal, pointu et acéré. Tu me paroxysme.Un hameçon à granit. Et me paradoxe.Vous le posez sur l’écaille qui saille. Je te clavecin.D’un tout petit millimètre. Tu me silencieusement.Voilà, il est posé. Tu me miroir.À l’extrémité inférieure du crochet, vous suspendez une petite échelle de corde de trois marches. Je te montre.Vous respirez. Tu me mirage.Vous posez le pied sur la marche inférieure. Tu m’oasis.Et vous chargez lentement tout le poids de votre corps sur cette mince margelle. Tu m’oiseau.Très lentement. Tu m’insecte. Tout geste brusque peut faire déloger le crochet de sa maigre encoche. Tu me cataracte.Progressivement, votre poids se déplace à l’aplomb du crochet. Je te lune.Au fur et à mesure, le crochet enfonce sa pointe dans la roche et se trouve consolidé. Tu me nuage.Encore plus lentement, vous vous élevez. Tu me marée haute.Évitez à tout prix de regarder sur quoi vous reposez entièrement. Je te transparente.L’air vibre. Tu me pénombre.
Par Cécile Riou
El Capitan, Olivier Salon, éditions Guérin, 2006 (p. 29), Ghérasim Luca « Prendre corps », Paralipomènes, Le Soleil Noir, 1976