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Histoire naturelle : le ver à soie
Le ver à soie est fort papotier de sa nature : il ne laisse pas de maronner aux branches du mûrier où il aime à se receler. Mais il ne se sustente point du fruit que les Latins, d’après les Grecs, ont appelé morum et qu’il ne faut pas confondre, comme l’ont fait certains botanistes et plusieurs voyageurs, avec la mûre de la ronce dont nous donnerons l’histoire à part, parce que celle-ci, noire, revêche et source d’une boisson fermentée appelée moré, est une infrutescence d’une espèce différente de celle-là, opaline et flasque, qui, quoique melliflue, n’est guère propice à spiritueux ; longanime et blèche, le ver à soie en pâture, obstiné, les feuilles.
Il a les yeux bons, l’odorat excellent, l’oreille admirable, ce qui a encore contribué à le faire mettre au nombre des animaux timides, austères et chagrins qui ont tous, à ce qu’on prétend, l’ouïe très-fine. Aussi se berce-t-il du bruit pluvieux de ses manducations au point qu’il ne sait résister à l’assoupissement, cependant qu’il vous machine d’écume une coque fabiforme en ligneul où ce bilieux se peut rasseoir. Il reste dans cette situation sans faire aucun mouvement et sans se secouer pour se relever.
Pourquoi donc tant de haine pour cet animal, si bon, si patient, si sobre, si utile ? Les hommes haïraient-ils jusque dans les animaux ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais ? Car ils le dérament, l’étouffent et débobinent, en déduisent un fil qui, tissu, donne une douce étoffe, à fin d’y découper pour une femme de qualité quelque fourreau propre à en achever la tournure.
Que selon l’ordonnance commune de la Création la dame vienne à périr, et nous voyons bientôt croître, au tumulus sous lequel ainsi accoutrée elle repose, piqué en l’octobre, un arbre mûrier où, mol opiniâtre, le ver à soie maronne. Rien de plus touchant que cela qui seul suffirait pour prouver l’immuable abnégation de cet humble larve que Dieu seul a conçue et tirée du néant.
Rouffon, Des vers, larves et chenilles, Supplément à l’Histoire Naturelle, Générale et Particulière.