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Gestomètres des sensations en passant de la rue Roger Salengro au champ Bobillot à Hellemmes
Christiane :
Entendre « même à Hong-Kong on connaît Robert », l’aboiement d’un chien furieux, le vol léger du pigeon le long de la Semeuse
Distinguer un homme en short rouge qui s’agite sur son trottoir, les rails qui mènent à la passerelle SNCF, les pavés herbus, la palissade verte
Sentir à peine dans les jambes l’effort ténu pour monter, la rambarde grumeleuse sous mes doigts
Reconnaître au loin le chant cadencé d’une mésange… une tourterelle, les moineaux, tout près… menus pépiements
Repérer : grues jaunes, tuyaux rouillés, lampadaires de vieille ferraille, toits en escaliers, et au bout, les champs !
Ouïr le chant du coq, l’impro à la Charlie Parker des alouettes, le ronflement continu d’une loco sur les rails
Découvrir tout ce vert, sureaux et seringats en fleurs, orties, rames de haricots au pied d’une mini Tour Eiffel grise, puis les maisons de la rue Bobillot, et un homme en salopette bleue, chapeau de toile, accent italien
Humer l’odeur de l’herbe, de la terre mouillée
Voir les graminées délicates qui bougent doucement, un champ de seigle hérissé, une touffe de compagnons rouges, et des blancs aussi
Baisser les yeux et contempler au sol le chaos de bouts de briques, vieux pavés roses, morceaux de béton, petites pierres blanches, terre jaune, terre brune, traces de pneus, papier jaune, fleurs de camomille
Percevoir ensemble le cri rauque de la pie, le grondement SNCF, le coq, les moteurs de voitures, d’avion, qui enflent et s’éteignent
Ian :
Repérer la pile de mégots déféqués par une voiture dans le caniveau
Sentir les géraniums 15€ les 15 plantes et les pommes d’amour tombées dans un pot de fleur
Découvrir les packs mouillés et les bouteilles écrasées de cognac « Comptoir des Flasques » dans le caniveau
Comprendre que tout le monde connaît Robert
Apercevoir une cannette de 16 et deux de Super Premium Lager devant une porte verte avec des barbelés dessus et un pack de préservatifs vide (?) dessous
Repérer depuis la passerelle l’endroit idéal pour la scène obligatoire dans un film d’horreur où quelqu’un se réfugie dans un entrepôt désaffecté
Désemparée, ses cheveux en bataille et son talon gauche cassé, la jeune femme blonde court en panique vers le bâtiment qui bourdonne et reste allumé bien qu’il semble complètement déserté. Elle s’arrête subitement et regarde autour d’elle. Personne. Elle regarde encore. Toujours personne. Elle repère une porte ouverte au premier étage de l’usine et grimpe rapidement le vieil escalier en métal rouillé qui y mène. Elle pénètre dans le bâtiment en fermant la porte doucement derrière elle. Depuis la passerelle, l’homme observe chacun de ses gestes
Voir de la mousse sur la passerelle d’un vert tellement pâle qu’on se dirait au bord de la mer
Entendre un TGV garé qui se réchauffe
Découvrir un four à pain converti en barbecue dans la rue Bobillot et à côté un petit rectangle de verdure clôturé par une barrière en métal avec une table couchée face par terre et un autre barbecue couvert d’un sac poubelle bleu
Entendre un coq gueuler
Découvrir que même à la campagne d’Hellemmes il y a des cannettes de bière écrasées par des tracteurs
Entendre le bourdonnement des insectes qui se réchauffent
Marc :
Distinguer la distinction de la jeune fleuriste et les volutes de fumée de sa cigarette.
Repérer 9 troncs de platanes penchés du même côté.
Découvrir sous l’asphalte et l’herbe rase deux rails d’une voie qui ne mène nulle part.
Considérer le silence dominical des établissements SNCF.
Apercevoir les courbes des cultures maraîchères et des voies de chemin de fer en proximité.
Pénétrer sur le tronçon d’un chemin délimité par 2 barrières et 2 écriteaux impératifs, c’est privé, le passage et l’entrée !
Entendre 2 coqs après leurs grasses matinées s’égosiller dans une discussion sans fin.
Apercevoir la ronde des voitures autour d’un champ.
Robert :
Plonger au coin des rues Roger Salengro et Ferdinand Mathias dans un mélange saturé d’où émergent une sonnerie chez le fleuriste, les parfums et couleurs des bouquets de saison sur le trottoir, à nouveau la sonnerie.
Dénombrer en chemin une calandre effondrée d’automobile Peugeot, un caddy de hard discount renversé, les déjections canines qui balisent la trajectoire des piétons.
Indexer, rue Vanderstraeten, une gamme de sensations à travers les semelles en marchant successivement sur le macadam, le gravier, l’herbe revenue envelopper rails et pavés désaffectés ; le secret de mes robustes chaussures n’empêche pas la plante de mes pieds de deviner le sol que je foule !
Mesurer la rugosité relative de la main courante grise de la passerelle au-dessus des ateliers SNCF, polie jusqu’au métal dans les virages.
Diviser en zones, au surplomb du chemin Napoléon, un paysage criblé de lignes (horizon, rails, câbles haute tension, réverbères, routes, bords des champs, rues, etc.) délimitant une couleur dominante ; ce matin surtout le vert, le rouge, le gris.
Trier, yeux fermés au cœur du champ Bobillot, les bruits selon qu’ils s’assimilent à la ville ou à la campagne ; bourdon des moteurs d’automobiles, il y a une ville assurément ; mais si près du centre de Lille, une sensation de campagne domine cependant : souffle d’avion transatlantique à 8 000 mètres d’altitude, oiseaux des champs, impacts d’un outil tranchant dans la terre.
S’imprégner d’un contraste chromatique complémentaire : rouge de peinture et de rouille (un piquet en fer désaffecté) sur le vert des graminées folles et du chiendent.
Dénombrer à l’intersection de trois champs - lin, patates, seigle - ce qui n’a pas sa place ici : capot de chauffe-eau, essieu de 2CV, carré calciné de moquette, chemise rouge détrempée, bouteilles en plastique, cartons.
Sophie :
Examiner les enseignes, City Food, Tropic, Fontaine du Dragon, Centre Agora, Tom & C°.
Découvrir la guérite sur une terrasse du loft ; que garde-t-elle ? Observatoire à hiboux ?
Observer les lignes métalliques, les verticales, horizontales, zigzags des toits d’atelier, serpent de la passerelle, c’est une Hellemmes mondrianesque ; bien peu de couleurs, beaucoup de chats.
Découvrir un Thalys et un TGV côte à côte, attendant qu’on leur ouvre les entrailles. Révision générale.
Repérer les entrelacs des tuteurs à haricots à travers les poutrelles métalliques du pylône électrique.
Entendre le voisin à l’accent roulant.
Échanger sur le stade et les plants de haricots.
Repérer la table de jardin anéantie à terre, prisonnière de l’enclos gazonné.
Sentir sous les semelles les aspérités des briques éclatées.
Écouter le chant des coqs qui conversent de jardin à jardin. Les cloches s’immiscent.