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Devant la friterie… (sonnets shakespeariens)
Devant la friterie, ça sent la fricadelle
Et l’appétit me vient, mon estomac frémit :
Je vais me régaler. Fini le vermicelle !
Me voici bien content ; mon cœur se réjouit.
Quel plaisir d’échapper à la triste cuisine
Dont les médias rebattent nos oreilles sans fin.
Mais finissons-en donc, tout cela ma chagrine,
Misérables délices me laissant sur ma faim.
Et le wagon m’emporte dans la nuit de mes rêves,
Dans un monde trompeur bien riche en illusions ;
Les fantasmes m’assaillent et m’obsèdent sans trêve,
Ne s’évanouissant qu’à ma disparition.
Ô malheureux humains, le temps passe si vite !
Écoutez mon conseil : gardez toujours la frite !
Devant moi l’autobus bien lentement circule,
Tandis que, besogneux, j’écris à la terrasse.
Mais j’ai froid et me dis : « Vraiment, c’est ridicule
C’qu’on nous fait faire ici, vraiment, c’est dégueulasse !
Mais pourquoi afficher une indignation feinte ?
À cette activité nous prenons tous plaisir.
Il est toujours fécond d’écrire sous la contrainte :
Sait-on jamais à quoi on pourra parvenir ?
Je persiste à écrire dans le bruit des voitures…
Le faire à l’extérieur permet de respirer
Tant qu’on a la santé ! Eh bien, pourvu qu’ça dure
Au moins jusqu’à demain, qui est le premier mai !
Je perds le capuchon de mon stylo à bille…
Ah ! Je l’ai retrouvé : je vais pousser des trilles.
Et les passants défilent en ce jour sans soleil,
Vêtus de gros polaires et le regard glacial,
Et le ciel reste gris. Ah ! C’est toujours pareil :
Notre printemps revêt un aspect hivernal.
Je me trouve non loin de la rue des Tanneurs ;
Le ciel s’est obscurci, il va falloir rentrer.
Du reste le temps passe, bientôt, l’animateur
Recueillera, patient, les fruits de l’atelier.
Je voudrais m’arrêter, mais ma plume s’agite.
Je me lève et je pars, quittant alors la table.
Revenu dans la salle, la même ardeur coupable
Me reprend. Je poursuis : le feu sacré ? J’hésite.
Mais c’est bien suffisant : j’ai dû faire trois sonnets.
Shakespeare, j’expire ! Je suis vraiment sonné !
Par Aimé Petit
Consigne donnée par Ian Monk sur le modèle de son livre 14x14 : sur le schéma de rimes d’un sonnet anglais, commencer à écrire un poème en alexandrins. Dès qu’on ne sait plus quoi écrire, se lever et marcher. Reprendre un nouveau poème à l’endroit du schéma de rimes où l’on s’était arrêté, et ainsi de suite.