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Voir Diomir
— Je ne veux plus sortir des sentiers perdus ! Moins je vois de monde, mieux je me porte. Une bonne discussion, tu vois, comme celle-ci, tous les trois mois, me suffit. Donne-moi un millier de bons livres, une cheminée, du bois sec, et je suis le plus content des hommes.
— Vieil ermite que tu es, et présomptueux en plus ! T’es trop sûr de toi. D’ici cinq ou six jours, si on s’y met pour de bon, en direction de l’est, on rencontre Diomir, une cité constellée de coupoles grises chromées, de bustes de dieux orgueilleux, de rues soudées comme un circuit imprimé, où sillonne une troupe simiesque, et un coq sur une tour tient lieu de réveil. Ces merveilles, Onésime, t’impressionneront-elles ? Peut-être est-ce effectivement le lot commun des villes des Pouilles. Écoute bien, le propre de celle-ci est que si l’on se pointe un soir de septembre, lorsque les jours se couchent plus vite et que de simples bougies illuminent les bords de fenêtres des friteries bondées, que l’une d’elle s’ouvre, d’où une voix de femme crie : hou !, on devient envieux de ceux qui ont vécu une telle soirée et qui ont été cette fois-ci heureux.
— Ventrebleu, Isoline, c’est qu’on est loin de septembre ! Et puis je m’interroge sur mon envie de revoir un jour une ville, quelle qu’elle soit. Je suis sérieux. Je me sens bien, en guêtres, tu vois, sur les chemins boueux. Ni sorgueurs pénibles, ni bourgeois persifleurs, et moins encore de rezzous ! On est bien, non ? en sécurité, détendus du slip, le renifloir comblé d’oxygène, sous une voûte céleste si limpide qu’on en oublie presque l’effet de serre !
— C’est que je suis un être de commerce et non d’éther. Quelques jours de sport me font du bien, c’est sûr. Je me sens toutefois en pleine possession de mes moyens seulement dès lors je peux compter sur un bouquiniste, le Comptoir des Cotonniers, un bon boucher, une Brioche Dorée, et puis Dior… Je suis un pied en cuisine, tu vois. Et piètre bricoleur qui plus est. Être servi, boire des bières dehors, voir de nouvelles têtes. C’est mon idée du bonheur. Réouverture chérie, je cris ton nom ! Vive Florence, Lucques, Rimini ! Et Diovir, Diovir ! Pourvu qu’on y trouve un hôtel ouvert… si on survit !
— Mon Dieu ! Comment peut-on courir impunément les villes et ne rien voir de l’essentiel, du Tout et ses interstices indomptés ? Poses-toi un peu ! Moi-même je me suis un temps fourvoyé. Et comment ! Longtemps je me suis sustenté de musées, de discothèques, d’expositions prétentieuses. Que de peintures et musiques inutiles me suis-je imposé pour oublier les inconvénients de mon métier de poinçonneur ! Rien ne me dit plus que les pépiements du pinson, réglés sur le ciel. Relève le bout de ton nez, ouvre esgourdes et mirettes, vois les collines moutonneuses dûment broutées. Personne ne court sottement. Une ville, quelle qu’elle soit, est un vile contresens.
— Une ville est un monde d’opportunités. Opportunités d’étonnements, rencontres, prises de tête. Rends toi disponible et elles viendront toutes seules. Rien n’empêche les intrusions des mouettes, qui confrontent les mulots pour disperser les déchets. Ton esprit géologique s’encroûte, drogué que tu es de solitude. Tu te nimbes d’un bouddhisme boudeur mortellement ennuyeux. Profites, bordel ! Diomir, je te préviens, est une ville hédoniste. Une fois tes lèvres trempées de Monte Bombino Nero, tu risques de te désinhiber violemment, petit homme coincé et plein de certitudes.
Le septième jour de leur périple pédestre, effectivement, Onésime confesse, en plein cœur de Diomir :
— Je m’incline, Isoline. Comme c’est bon en effet, comme c’est délicieux de voir un peu de jeunesse, de croquer des esquisses en direct, deviner les pensées médiocres des inconnus. C’est tout de même curieux de les voir qui trottinent sous les réverbères, du domicile vers le shooping center, ou l’inverse, puis s’enfermer derrière des murs immenses et ternes, quelquefois peinturlurés lorsqu‘un crédit est voté. Que cette fresque est burlesque ! Vite, trouve-moi un olivier, une mouette, une libellule ! Ou bien j’écris un libelle !