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Vers de fantaisie
Les vers à soie murmurent dans le mûrier
un air très vieux, languissant et funèbre.
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
qui pour moi seul a des charmes secrets,
pleine d’un sucre qui ne fait pas d’alcool,
blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens
dont on fait pour une belle dame une robe,
mastique les feuilles avec un bruit mouillé.
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
c’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
les vers à soie qui sont patients et douillets.
Ils tissent un cocon rond aux deux pôles
baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs
que, dans une autre existence peut-être,
ils ne mangent pas : ces mûres blanches et molles,
belles également, qu’elle porte avec allure.
En le dévidant on tire un fil de soie
puis un château de brique à coins de pierre.
De deux cents ans mon âme rajeunit
avec elle, et on plante sur sa tombe en octobre
un mûrier où, sans fin, les vers à soie murmurent
tout Rossini, tout Mozart et tout Weber.
Jacquard de Rouberval (et Nicolas Graner pour la ponctuation)