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Trois suffocantes journées de vélo

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Trois suffocantes journées de vélo nous ont conduits dans l’école
d’Annan, pays des Vents Éternels. L’air toujours en mouvement charrie
des effluves tantôt objectifs, tantôt relatifs, et transporte une fine
poussière couleur de rouille qui finit par enrayer la mécanique du
monde. Son sifflement lancinant ne s’arrête jamais, au point
d’interdire le passage des cyclistes dans la rue. Le Manuel de la Rose
des Sables raconte que si le vent devait cesser un jour de souffler,
les cyclistes pourraient accomplir des chefs-d’œuvres.

En Annan, au jour de la première brise du nord, l’enfant qui vient
d’apprendre à pédaler tire au hasard une pierre d’argent hors
d’une sacoche de toile.

Sur cette pierre est gravé son devenir d’adulte. Le sort désigne aussi
bien sa place dans le peloton, l’identité de ses coéquipiers,
le nombre de ses victoires d’étapes que la date de sa chute.

Certains sont destinés à se faire tout petits derrière leurs camarades,
d’autres attendront banalement que ça passe, quelques-uns
enfin iront au charbon. Mais aussi terrible que soit leur destin, tous
les cyclistes d’Annan s’y conforment à la lettre, sans amertume ni
révolte.

Nous avons fait part à notre guide de notre étonnement. Il a souri.
— Se prendre un grand vent dans la pipe n’est rien si l’on sait que
l’on va bientôt céder le relais.

Paul Le Fournelier, Besoin de mémoire, Seuil International, 2001,5