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Terreurs nocturnes
« Maman ! Maman ! Il fait tout noir ! Le loup va venir nous manger !
– Mais non, voyons, il n’y a pas de loups dans le Pas-de-Calais.
– Et les chauves-souris ? Il y en a, des chauves-souris. Elles vont venir nous manger !
– Allons, attends cinq minutes, ils vont allumer le feu et il ne fera plus noir du tout.
– Le feu ? Je ne veux pas le feu ! Il va tous nous brûler !
– Pourquoi il nous brûlerait ? Tu n’auras qu’à pas trop t’approcher, c’est tout. Regarde plutôt le ciel comme il est beau.
– Il y a plein de petits points brillants. Qu’est-ce que c’est ?
– C’est des punaises qui sont plantées dans le plafond. Elles sont très belles, toutes dorées.
– Des punaises ? Elles vont nous tomber dessus, elles vont nous piquer !
– Ne t’inquiète pas, elles sont bien accrochées.
– Dans le ciel ? À quoi elles sont accrochées, dans le ciel ?
– Je ne sais pas, moi. Aux nuages, je suppose.
– Les nuages ? Il n’y a pas de nuages ! Les punaises vont tomber sur nous et nous faire des gros trous dans la tête !
– Calme-toi, regarde plutôt la lune. Tu vois ce beau croissant tout blanc ?
– La lune, elle a des cornes. C’est comme les vaches, elle va nous piquer avec ses cornes.
– Mais non, regarde, c’est comme un ongle. Un bel ongle bien soigné, comme quand Maman revient de l’esthéticienne et qu’elle sent tout bon.
– Des ongles ! La lune va nous griffer avec ses gros ongles ! Elle va nous arracher la peau.
– À propos de peau, tu devrais fermer ton blouson. Il ne fait pas chaud.
– Il fait très froid ! On va tous geler ! On va attraper une poumonie et on va mourir.
– Allons, il ne fait pas si froid que ça. Ce n’est pas la première fois qu’on se promène dehors le soir pendant les vacances.
– Les vacances ? Mais on n’est pas en vacances !
– Mais si : Maman ne travaille pas, tu ne vas pas à l’école, c’est comme si on était en vacances.
– C’est pas les vacances. Les vacances, c’est quand on va à la mer.
– On ira à la mer l’été prochain, quand toute cette histoire sera terminée, je te le promets.
– J’aime pas la mer ! Dans la mer il y a des vagues qui veulent nous noyer. Et puis des crabes et des requins qui nous mangent.
– Eh bien regarde, ici il n’y a pas de mer mais il y a un beau ciel au-dessus de nous. Il est aussi grand que la mer mais il n’y a pas de vagues ni de requins.
– C’est trop grand, le ciel. Si on va se baigner dans le ciel on se perdra et on ne pourra jamais revenir !
– D’accord, alors on va rester tranquillement ici jusqu’à ce que ces espèces de vacances soient finies et après on rentrera à la maison.
– Pourquoi on est partis de la maison ? Tu m’avais même pas dit qu’on allait partir et puis on est partis à toute vitesse et j’ai même pas pu prendre mon doudou !
– Je t’ai déjà expliqué, c’était pas prévu, c’est à cause du travail de Maman.
– Oui mais mon doudou il est resté tout seul à la maison et il est très malheureux, il pleure tout le temps sans moi, et moi je peux même pas lui faire un câlin.
– Je t’ai dit que ça ne serait pas très long. On va bientôt rentrer et tu le retrouveras.
– Comment tu sais qu’on va bientôt rentrer ? Tu m’as dit que tu ne savais pas combien de temps on partait. On va peut-être rester ici pendant mille ans et après on sera tous morts et mon doudou il restera tout seul !
– Mais non, on ne va pas rester ici mille ans. Mille ans c’est beaucoup, beaucoup trop long. Tiens, tu vois les étoiles là-haut, eh bien dans mille ans elles auront peut-être disparu.
– Elles disparaissent, les étoiles ?
– Mais oui. Les étoiles, quand elles sont trop vieilles, elles meurent. Même celles qu’on voit là-haut, il y en a peut-être qui sont déjà mortes.
– Mais alors nous aussi, on va tous mourir ? Je ne veux pas mourir ! Je veux rentrer à la maison ! »
Jacques, sans ses jouets.