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On ne vit que de soie
Clémence est une héroïne de roman.
Sa mission est de démasquer un agent secret belge infiltré dans un atelier de canuts.
Asphyxier les vers dans un four à vapeur lui rappelle l’aventure dans laquelle elle a dû étrangler à mains nues un terroriste international qui s’apprêtait à faire sauter le parlement danois. Retirer les cocons du four et les poser sur des plateaux où ils sèchent pendant trois mois ne sont pas sans évoquer la fois où elle s’était faite passer pour une serveuse à l’ambassade de Pologne et avait ainsi déjoué un empoisonnement au curare d’un cousin du tsar de Russie. Les retourner régulièrement pour accélérer l’évaporation de l’eau renvoie sa mémoire traumatique aux tortures subies en Argentine pour qu’elle indique l’endroit exact où étaient enterrés les diamants de Rögern le Fou. Évidemment, elle avait su se libérer sans livrer aucun secret en tirant sur les fils de soie des cocons qui la tenaient prisonnière puis en les jetant dans des bassines d’eau très chaude. Elle avait ensuite plongé les mains pour en tirer les filaments de soie de qualité supérieure, pressé plusieurs de ces filaments ensemble pour obtenir un fil qui lui avait permis d’atteindre, depuis la fenêtre de sa geôle, le pied du pont-levis et de là s’enfuir. Bobby et ses fils avaient sellé les chevaux mais Clémence s’était faite un véritable métier à trisser.
Une affaire extrêmement difficile, qui l’avait conduite des campagnes aux usines lyonnaises. Avec la puanteur des chrysalides en décomposition, l’eau brûlante dans laquelle un pauvre canut là-bas jetait désespérément des pommes de terre coupées en fins tronçons, la bourre de soie dans l’air des ateliers dont les fenêtres étaient fermées pour protéger la coûteuse soie. Une mission impossible.