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Ô prolo nox
Avertissement de Françoise Guichard -
C’est Hugo qui trinque (j’irai faire pénitence devant le Panthéon)... essai de réécriture de l’affaire Testut en prenant comme cadre Oceano nox (début et fin de chaque vers conservés).
Oh ! ce Charles Testut fut un des capitaines
Qui avait des idées bien d’ici, pas lointaines, (1)
Dans ce début de siècle aux espoirs évanouis !
Combien ont réussi, gagnant une fortune !
Dans l’industrie naissante ils décrochaient la lune,
Sous la Restauration et les Cent-Jours enfouis ! (2)
Combien de patrons lancèrent leurs équipages !
L’ouragan Marx allait en écrire les pages
Et d’un souffle puissant faire monter les flots !
Nul banquier ne croyait à la Bourse en plongée.
Chaque banque de sous était assez chargée ;
L’une épargnait même l’argent des matelots !
Nul ne savait peser : tant de valeurs perdues !
Vous, Charles, vous aviez des idées étendues,
Heurtant tout pour créer modèles inconnus. (3)
Oh ! feuilles de tabac pesées comme en un rêve,
Sont partis en fumée comme en place de grève
Ceux qui n’y croyaient pas. Ne sont pas revenus !
On parlait précision en famille aux veillées.
Maint cercle de marchands aux balances rouillées,
Mêle éthique et profits à peine à mots couverts
Aux rires déplaisants des patrons d’aventures,
Aux baisers qu’ils donnaient aux mondaines futures,
Tandis que gâtifiaient les Anciens plus très verts !
On demande, surpris : - Ces patrons qui sont-ils ?
Sont-ils de gras bourgeois à Saint-Louis-en-l’Île ?
Nous sont-ils arrivés d’un pays peu fertile ?
Puis ont-ils tout scrupule alors enseveli ?
Le corps des ouvriers apprendra la mémoire.
Le temps est long, trimant jusques à la nuit noire,
Sur l’établi tapant, soudant : gare à l’oubli.
Bientôt de ces patrons la race est disparue. (4)
L’un aura-t-il donc mis bœufs avant la charrue ?
Seules valeurs : l’argent et le profit vainqueur, (5)
Vos veuves, travailleurs, qui semblent vous attendre,
Parlent de vos luttes en retournant la cendre
De leur foyer elles en ont gros sur le cœur !
Et quand morts de travail vous fermez la paupière,
Rien ne fait frémir vos maîtres au cœur de pierre
Dans ce vingtième siècle où nul écho répond,
Pas un juge pour voir l’hiver après l’automne, (6)
Pas même une alerte... ah ! Ce refrain monotone
Que chante le C.E. rassemblé sur le pont !
Où sont-ils, les meneurs chassant les idées noires ?
Ô l’Histoire a failli, il reste les histoires (7)
Flots de mots, colère de ceux-ci à genoux !
Vous vous êtes battus contre vents et marées, (8)
Et oui, tout a fini... Pensées désespérées
Que tout Béthune a eu en se battant pour nous !
(1) « Testut - la grande marque française », « Testut - la balance de France ».
(2) L’entreprise naît du besoin de mesures de plus en plus fiables. [...] Dès 1815 de nombreux départements sont autorisés à cultiver le tabac. Cependant la vente est soumise à des contrôles de plus en plus rigoureux et c’est à cette époque que les revendeurs doivent s’équiper de balances précises, car la demande est forte et les structures pour la satisfaire presque inexistantes.
(3) Les premières balances conçues par Charles Rodolphe Testut sont des balances dites « à tabac » produites dès 1821, dont il ne reste que de très rares exemplaires. Elles sont en bronze, dotées d’un fléau à aiguille gravé du nom de la marque en son centre, et de deux plateaux en cuivre jaune dinandier et martelé, posés sur une colonne. Ces petites balances, pratiques et bon marché, ont un succès immédiat. L’innovation de la balance Testut réside dans la suppression des trois chaînettes permettant la suspension de la coupelle de pesée, la remplaçant par une tige en acier forgée en « col de cygne » terminée par 2 crochets, divisant ainsi le coût de fabrication par trois. Une pastille de plomb sertie sur le socle utilisée pour le marquage « à la frappe » des poids et mesures. Cette innovation améliore la qualité de la mesure, grâce à un groupe de pesage plus robuste et plus fiable que les modèles utilisés au début du XIXe siècle.
(4) Le Groupe Bernard Tapie rachète la société Testut en 1983, après le rachat d’une autre entreprise de pesage, la société Terraillon, en 1981. Lutrana, société créée en 1910 par M. Luteraan, présent dans le pesage industriel et commercial, rejoint le groupe Testut en 1990. En 1995, Testut est transféré au CDR, la filiale du Crédit lyonnais chargée de gérer les actifs industriels de la banque, dont Bernard Tapie était débiteur. Le groupe américano-suisse Mettler Toledo, numéro un mondial du pesage, devient propriétaire de Testut en 1999.
(5) Un emprunt obligataire de 100 millions de francs émis par le Crédit lyonnais, le Crédit agricole et les AGF, dont le tiers environ sert à racheter à la SNC Bernard Tapie l’entreprise Trayvou, spécialisée dans le pesage de matériels lourds. Pourtant, Trayvou continue de cumuler les pertes, aussi le conseil d’administration de Testut, réuni le 29 décembre 1992, décide de céder Trayvou pour 1 franc symbolique au groupe Bernard Tapie. Après un abandon de créances de 41 millions de francs.
(6) Les deux juges d’instruction de Béthune se sont [...] interrogés sur l’attitude des commissaires aux comptes et des dirigeants de la Société de Banque occidentale (SDBO), et ont donc demandé leur perquisition.
(7) Le 22 décembre 1993, une fois son immunité parlementaire levée, Bernard Tapie est mis en examen pour « abus de biens sociaux », et est condamné le 1er juillet 1996 par le tribunal de Béthune (Pas-de-Calais), à deux ans de prison avec sursis, à 300 000 francs d’amende et à cinq ans d’interdiction de gérer.
(8) Jacques Jouet, Mek-Ouyes chez les Testut - TEC-CRIAC & Comité d’Entreprise Testut 2004 / P.O.L. 2006.