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Les vers à soie ont du nez (d’après Edmond Rostand)
LE VICOMTE
Attendez, je vais lui réciter un poème :
« Les vers à soie » de Jacques Roubaud.
CYRANO
Ah oui, j’aime !
LE VICOMTE
Ca y est.
CYRANO
C’est tout ? Ah non, c’est un peu court jeune homme
On pouvait dire… Oh ! Dieu !... Bien des choses en somme…
En variant le ton. Par exemple, ceci :
Agressif : Mais Monsieur, c’est que ces bestiaux-ci
Font dans notre mûrier un vacarme insensé.
Aimable : A leur décharge, il faut bien confesser
Que ce n’est pas des fruits qu’ils feront leur denrée.
Descriptif : C’est tout blanc, c’est tout mou, c’est sucré…
Pourtant, même sucré, ça ne fait pas d’alcool.
Curieux : Comment décrire cette bestiole ?
La dit-on patiente ou la dit-on douillette ?
Gracieux : Oyez-les mâchouiller la feuillette :
Eut-on pu concevoir un air plus magnifique
Que ce bruit mouillé de la feuille qu’on mastique ?
Truculent : Ca, Monsieur, on voit que ça endort
De grignoter ainsi : ça tisse, et tisse encore :
Ils font une montagne autour de leurs épaules.
Prévenant : Faites bien attention que les pôles
De ce cocon soient bien convexes, non concaves.
Tendre : Laissez-les donc faire un fil de leur bave,
Si cela leur permet de dormir rassurés.
Pédant : Cet animal des régions excentrées
Qu’en entomologiste on appelait jadis
Phalaena Mori produit la soie qu’on tisse.
Cavalier : C’est la soie qu’on dévide en tirant ?
On peut d’un seul cocon bien tirer quelques francs.
Emphatique : Et l’on va de ce fil angélique
D’une superbe nymphe accomplir la tunique.
Dramatique : Un accroc peut ruiner un trésor.
Admiratif : Mon Dieu, quelle allure ! Quel port !
Lyrique : Et si la rose, un matin, se fanait ?
Naïf : Il paraît que parfois on meurt. C’est vrai ?
Respectueux : Il faut cette robe inhumer
Près de celle qui l’a tant portée, tant aimée.
Campagnard : Hé ardé ! faut pô gâcher la terre.
Faut’y planter un arb’, pô la met’ en jachère.
Militaire : En octobre on sonnera aux morts.
Pratique : Et pourquoi pas dans ce triste décor
Remettre un ver à soie, comme dans la nature ?
Enfin, parodiant Queneau et Laverdure :
« Revoilà le mûrier, et revoilà le ver
Qui murmure, murmur’, c’est tout ce qu’il sait faire ».