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Les vers à soie (monologue)
Les vers à soie dans le mûrier murmurent, murmurent, murmurent.
Ils ne mangent pas ces mûres blanches et molles, molles, molles,
Pleines d’un sucre qui ne fait pas d’alcool, —pas, pas, pas !
Les vers à soie qui sont patients et douillets, douillets, douillets,
Mastiquent les feuilles avec un bruit mouillé, mouillé, mouillé.
Ça les endort, mais autour de leurs épaules, ils tissent, tissent, tissent,
Un cocon rond aux deux pôles, — rond, rond, rond —,
À fil de bave, puis, rassurés, dorment, dorment, dorment.
En le dévidant on tire un fil de soie long, long, long,
Dont on fait une robe pour une dame belle, belle, belle,
Qu’elle porte avec allure et qui est également belle, belle, belle.
Quand la dame meurt on enterre la soie avec elle, elle, elle !
Et on plante, sur sa tombe en octobre, quand le vent pleure, pleure, pleure,
Un mûrier où les vers à soie murmurent sans fin, sans fin, sans fin…
Jacques Roubaud, Charles Cros et Alain Chevrier