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Les pléiades de métro
Voulez-vous savoir ce qu’est une pléiade de métro ?
Admettons que la réponse soit oui ; voici donc ce qu’est une pléiade de métro.
Une pléiade de métro est un groupe de personnes qui écrivent ensemble des poèmes de métro.
C’est aussi le recueil de poèmes composé dans le métro par ces mêmes personnes pendant le temps d’un trajet.
Une pléiade de métro compte autant de poèmes que de personnes en train d’écrire ; les poèmes comptent autant de vers que le voyage compte de stations moins un.
Chaque premier vers est composé dans la tête de chaque voyageur entre les deux premières stations (en comptant la station de départ) ; il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station deux.
Juste à l’instant où les portes se referment, les auteurs de la pléiade de métro font prestement tourner les feuilles dans le sens des aiguilles d’une montre ; et dès que la rame redémarre, chacun lit pour soi ce qu’a écrit la personne à sa droite, aussitôt compose dans sa tête entre les stations deux et trois le deuxième vers de ce poème.
Les deuxièmes vers sont transcrits sur les feuilles quand la rame s’arrête à la station trois ; les feuilles tournent à nouveau dans le sens des aiguilles d’une montre à la fermeture des portes ; et ainsi de suite.
Il arrive, selon la longueur du parcours et l’effectif embarqué, qu’une feuille repasse entre les mains d’un même auteur ; cela n’est pas gênant, au contraire.
Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche.
Il ne faut ni composer ni faire tourner les feuilles quand la rame est arrêtée.
Le dernier vers des poèmes est transcrit sur le quai de la dernière station ; si le voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, les poèmes comportent deux strophes ou davantage.
Si par malchance la rame s’arrête entre deux stations, on passe le temps en lisant à voix haute la pléiade inachevée du métro en panne.
Si la rame ne s’arrête pas intempestivement, on lit serrés en cercle sur le quai de la dernière station, cette fois en sens inverse des aiguilles d’une montre.
(Robert Rapilly, d’après Jacques Jouet, "poème de métro")