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Les Pots
Considérons ce bistrot. Il est un peu trop lumineux, un peu trop clair, un smog un peu trop londonien y flotte, et sa clarté un peu trop glauque crève les yeux. Situation où se fissure l’esprit d’un couple accoudé, chacun essayant de ramper mentalement vers l’autre d’un mouvement léger, pendant qu’on ne sait quel jour se casse, tout en laissant leurs lèvres sèches lamper la musique de leurs boissons avec une sorte de témérité dans leurs regards noyés en une mer de possibilités perpétuellement instable, perpétuellement remontée au mascaret de clignements légers. Un autre client est parti sans laisser de pourboire, démarche furtive pour échapper à la vigilance du garçon de café. Mais rien n’échappe au garçon de café. Son regard, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes que rien n’enraye : alors pour vous ce sera quoi ? Il joue à être garçon de café, c’est ça qu’il lui faut impérativement réaliser, rançon d’une imparable contingence de précautions pour emprisonner l’homme dans ce qu’il est. Mais là tout contre, deux jeunes gens se sont affranchis de la crainte perpétuelle de dépasser leur condition. Ils en débordent, ils éludent leur rôle assigné de clients de bistrot. Pour le moment ce sera juste boire les regards mutuels dans cette mer précitée de choses possibles. Leur danse se réalise comme une libre cérémonie, celle où l’Être nage aux confins du Néon.
Ian-Sol Monktre, « Les Pots », 1964.