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Le sel du vélo
Le vélo est l’école du mouvement.
On compte deux sortes de mouvement : le mouvement objectif et le mouvement relatif. Le premier est celui que fabrique la mécanique du monde, et pour lui le cycliste n’avance pas par rapport à son vélo. Mais, à l’exemple du fameux baron de Münchhausen qui, dit-on, s’élevait dans les airs en se tirant par les cheveux, le cycliste, par le simple mouvement relatif de ses jambes, sans aucunement toucher le sol, se meut sur l’asphalte selon un mouvement pleinement objectif. C’est là son chef-d’oeuvre, pourrait-on dire, car plus il s’excite sur sa machine, plus il fabrique du mouvement objectif. Admirant ce phénomène, le docteur Freud se serait exclamé, en voyant passer un cycliste : « Voilà enfin brisé le cercle vicieux de l’immanence subjective ! »
Le mouvement du monde nous vient de n’importe quel côté, et le cycliste est toujours au bord de la frousse, car il a le réel à ses trousses. Boyau crevé vaut mieux que pipe cassée : le jour où vous faites l’atterrissage forcé dû à la dégonfle, le mal est vite réparé, la solidarité sans faille d’un camarade aux larges épaules et aux doigts de mécano opère.
Paul Nerflou, Le sel du vélo, Éditions La Chaîne Libre.