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Le chant des cigales et de la pluie
Ne descendez pas dans la rue ! Vous êtes sur votre balcon et voyez la manifestation passer sous vos pieds. Ouvrez grand vos oreilles et observez le phénomène sonore engendré par la foule. On chante dans la rue à grands cris. On scande un mot d’ordre en rythme unanime. Puis un autre mot d’ordre est lancé en tête de la manifestation et se propage à la queue du cortège en remplaçant le premier. Une onde de transition part ainsi de la tête à la queue. La clameur emplit la ville, la force inhibitrice de la voix et du rythme culmine. Quel événement puissant et beau dans sa férocité ! Puis le choc des manifestants et de la police se produit. Le rythme parfait du dernier mot d’ordre se rompt en un amas énorme de cris chaotiques qui, lui aussi, se propage à la queue. Les tirs de grenades emplissent la rue de fumées. On tousse, on s’affole, la foule est dispersée, et à l’enfer sonore et visuel succède un calme détonant plein du désespoir des blessés sur le sol dans la poussière. Les lois statistiques de ces événements sont celles des cigales et de la pluie. Ce sont les lois du passage de l’ordre parfait au désordre total d’une manière continue ou explosive. Ce sont des lois stochastiques.
Paragraphe inspiré du poème de François Caradec et de Musiques formelles, article de Iannis Xenakis in La Revue musicale, 1963.