Accueil • L’oulipien de l’année • Cité récitée •
La région de Naan
Trois suffocantes nuits de train nous ont conduits dans la région de Naan,
lieu des fours éternels. Le feu toujours en mouvement charrie des odeurs de
farine et de bois, et transporte une fine émanation de teinte ocre qui finit
par imprégner chaque narine. Son crépitement lancinant ne s’arrête jamais,
au besoin d’interdire toute palabre dans la ruelle. Le Précis de la Cuisine
des Naaners raconte que si le four devait cesser un instant de souffler, les
enfants de toutes les cités de Naan s’effondreraient.
En Naan, au matin de la première neige de l’hiver, le garnement qui va avoir
dix bougies dans l’instant tire au pif une boite d’opale hors d’un panier de
rotin.
Sur cette boite est gravé son destin de vaurien. Le message désigne aussi
bien son futur larcin, le nom de son complice ou de sa complice, le niveau
de ses maraudes que la condamnation de sa filouterie. Certains évènements
sont heureux et doux, d’autres d’une effrayante complexité, quelques-uns
enfin tumultueux et sanglants. Mais aussi terribles soient-ils, tous les
enfants de Naan s’y conforment à la perfection, sans regret ni rébellion.
Nous avons fait part à notre Naaner de notre surprise. Il a souri.
— Subir le plus tragique des évènements n’est rien, si l’on se sait innocent
de son propre appétit.