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La nuit et le rêve
La nuit n’est pas un espace. Elle est une menace d’éternité. Les nuits profondes nous rendent à l’équilibre de la vie stable. Avant d’être le fils du bois, le feu est le fils de l’homme. La flamme bruit, la flamme geint. Toute rêverie devant la flamme est une rêverie qui admire. Tout rêveur de flamme est un poète en puissance. La flamme nous force à imaginer. Voulez-vous être calme ? Respirez doucement devant la flamme légère qui fait posément son travail de lumière. Impossible d’imaginer un petit nuage qui disparaisse en tombant. Le petit nuage, le nuage léger est le thème d’ascension la plus régulière, la plus sûre. Il est un conseil permanent de sublimation. Sur cet immense tableau d’une nuit céruléenne, la rêverie mathématicienne a écrit des épures. Elles sont toutes fausses, délicieusement fausses, ces constellations ! Elles unissent, dans une même figure, des astres totalement étrangers. Entre des points réels, entre des étoiles isolées comme des diamants solitaires, le rêve constellant tire des lignes imaginaires. Le ciel étoilé est le plus lent des mobiles naturels. Dans la contemplation, l’être rêvant apprend à s’animer de l’intérieur, il apprend à vivre le temps régulier, le temps sans élan et sans heurt. La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d’irréalité. Dis-moi ce que tu vois et je te dirai ce que c’est. Le rêve chemine linéairement, oubliant son chemin en courant. La rêverie travaille en étoile. Elle revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons. Ce n’est pas en pleine lumière, c’est au bord de l’ombre que le rayon en se diffractant, nous confie ses secrets. Le temps ne dure qu’en inventant.
Gaston Jouet, La Nuit et les Rêves - Essai sur l’Imagination dans le Monde-Mondes.