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La nuit et la survivance des lucioles
La nuit de Sangatte... Quand la police aura allumé les torches à la lumière aveuglante, nous ne pourrons plus voir la nuit. Leur lumière féroce traque toute présence humaine, elle nous fige dans son faisceau comme des lapins pris dans les cônes des phares d’une voiture. Ce soir, y-a-t-il des nuages ? Peu importe... nuages ou pas, pour nous c’est pareil. Pourvu que ce ne soit pas soir de pleine lune ! Un fin croissant, c’est bien suffisant... et les étoiles. Il fait froid, vraiment froid et on n’ose à peine respirer. On s’aère, c’est sûr, depuis la destruction du camp, plus de refuge contre le mauvais temps. Sangatte c’était un camp de bric et de broc mais un abri quand même, à défaut d’autre chose. Traverser cette mer à sec : c’est quoi... 50 kms... une sacrée distance pour nous, ça donne une idée de l’infinitude. On essaye de partir toutes les nuits, de s’enfuir de la nasse et ça dure longtemps pour y arriver... ou pas. Parfois, une de ces petites lumières vacillantes comme une luciole, une de nos traces dans la nuit, est happée dans le tunnel et disparait. Que reste-t-il de nous ? Mort ou vivant ?
Hommage à Pier Paolo Pasolini (1), Georges Didi-Huberman (2) et Laura Waddington (3).
(1) Corriere della sera, sous le titre « Le vide du pouvoir en Italie », 1er février 1975. Connu sous le nom de « La disparition des lucioles ».
(2) Survivance des Lucioles, Éditions de Minuit (2009).
(3) Border, film documentaire (2004).