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La nuit de chaque jour intercalée
La nuit...
comme l’air
dresse et dissout.
(Quand nous aurons allumé le feu,
nous ne pourrons plus voir la nuit sur les pages de la géologie,
sur les terrasses planétaires.)
Quand il y a le feu, il n’y a plus que le feu qui compte,
ses édifices invisibles :
Le feu est un hypnotiseur.
Ce soir l’homme, regardez,
le ciel a chassé,
son langage est à peine un grain,
tous ses nuages pour nous,
mais brûlant
contre la paume de l’espace.
Il a fixé au plafond
ses syllabes qui sont incandescences,
punaises de cuivre,
qui sont plantes, aussi
avec une lune élégante.
Leurs racines fracturent le silence, leurs branches
en arrondi d’ongle soigné, bâtissent des abris de sons.
Il n’en fait que plus frisquet, syllabes jouant bien sûr,
mais on respire, elles se nouent et se dénouent,
mais on s’aère, jouant aux ressemblances et aux dissemblances,
c’est les vacances et le camp de vacances !
C’est vrai, syllabes mûrissant aux fronts,
qu’il manque la mer, fleurissant aux bouches,
mais le ciel n’est pas mal.
Leurs racines boivent la nuit,
non plus comme image de l’infinitude, mangent l’éclat...
On ne s’attendait pas, langages, arbres incandescents
à partir en vacances aussi vite, aux feuillages de pluie,
et peut-être aussi longtemps.
Regardez cette étoile,
Végétations d’éclairs,
je la vois,
géométrie d’échos :
tu la vois,
et pourtant sur la feuille de papier
elle n’existe plus,
le poème se lève
s’il faut en croire les affaires de vitesse
comme le jour
de la lumière.
sur la paume de l’espace.
Intercalation du poème Le feu de chaque jour d’Octavio Paz,
dans une traduction de Claude Esteban, poésie Gallimard 1986.