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La nuit de Sepideh
La nuit, ils sont une petite bande de jeunes à aller avec Sepideh observer les étoiles dans le ciel près du petit observatoire resté en chantier... Quand ils ont fini, ils allument un grand feu, et cette pollution lumineuse les empêche de continuer l’observation. Quand il y a le feu, il n’y a plus que le feu qui compte et ils redeviennent des adolescents, ils sautent au-dessus des flammes et font cuire des pommes de terre assis autour de ce feu qui est un hypnotiseur. Ce soir, avait dit Sepideh, le ciel aura chassé tous ses nuages pour que nous puissions observer. Avec l’aide de Dieu, aurait ajouté Mr Kabiri secrétaire du cercle d’astronomie, et on réalise qu’on ne sait pas quelle est la position des ayatollahs concernant l’astronomie : disent-t-ils qu’« Il a fixé au plafond ses punaises de cuivre, avec une lune élégante en arrondi d’ongle soigné » ? Il fait frisquet après minuit sur la colline et on voit une petite silhouette dans son grand voile noir flottant qui redescend portant dans ses bras comme on ferait d’un enfant sa grosse lunette blanche. Là, près de l’observatoire inachevé, les yeux dans les étoiles, elle respire, elle s’aère l’esprit, Sepideh. Ce sont les courtes vacances de sa vie contrainte entre sa mère qui est dépassée et son oncle qui semble n’apparaître que pour la menacer ! Elle connaît les poètes d’Iran, Sepideh qui lance à sa mère « Ce n’est pas le grillage autour de l’étang qui me gène, mais d’être avec des poissons qui ne veulent pas connaître la mer... » C’est vrai que, quand son oncle lui dit qu’il la tuera si elle se fait violer la nuit sur la colline, elle pense à la lettre qu’elle écrira dans son journal à Einstein, elle pense à Anousheh Ansari qui a pris part à un vol spatial mais elle ne pense pas à la mer, car le ciel lui suffit comme image de l’infinitude, comme point de comparaison avec le nombre fini de ses problèmes : éviter l’oncle et sa famille, résister aux pressions de la mère qui n’a plus un sou, déposer une demande pour que la mairie achète une lunette plus puissante, trouver un moyen de faire financer ses études à l’université de Physique. Et puis soudain, tout s’accélère : l’amour arrive sous les traits d’un ancien membre du cercle d’astronomie et Anousheh, répondant à sa lettre, l’invite aux US. On comprend que Sepideh pourra faire sa vie en recherchant des étoiles inconnues qui peut-être n’existent plus même si on reçoit encore leur lumière et qu’elle pourra continuer à écrire à Einstein pour lui parler des affaires de vitesse de la lumière.