Accueil • L’oulipien de l’année • Cité récitée •
Hannane, le fatalisme de pierre
Une suffocante journée de marche se termine. Le guide de notre
caravane me montre le village de Hannane, contrée de brise éternelle.
Le souffle inébranlable charrie une fragrance de sable, une essence
marine. Cette atmosphère tourmentée transporte une fine poussière de
rouille, chaque pièce de costume se retrouve vite imprégnée de cette
teinte. Le vacarme insupportable ne cesse guère, de sorte que le
moindre bavardage de rue se trouve empêché. Le Livre de Sable rapporte
ce proverbe, que le peuple de Hannane interprète comme une terrible
menace : cesse le tapage, croule le village.
Lorsque le maître de cérémonie observe une première pluie printanière,
le gosse présumé être pubère cette année tire une pierre argentée que
renferme une poche de toile.
Cette pierre recèle une prophétie : elle indique le tracé de vie de
notre jeune personne devenue adulte. Elle précise pêle-mêle besogne,
mariage, descendance, elle date même le terme ultime de cette
existence.
De manière générale, le programme se révèle paisible, tranquille,
risque même une effrayante banalité. Le contraire existe : une vie
tumultueuse, sanglante, demeure possible. De quelque nature que cette
implacable prophétie puisse être, elle reste respectée de toute
personne de Hannane. De nulle manière le peuple ne manifeste de
rancune, de révolte.
Je laisse apparaître une marque de surprise. Notre guide se hâte de
sourire.
— Connaître une vie tragique ne me semble guère pénible lorsque je me
considère irresponsable de cette infamie.
(Cité de mémoire - Hervé Le Tellié - 4004 Berge Internationale)
Par Nicolas Graner
Le caractère ultime de chaque unité lexicale se trouve être une lettre E.