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Effet miroir
Il est paisible moi aussi.
Il regarde le bistrot lumineux clair.
Je regarde le bistrot lumineux clair.
Il bois un whisky,
je sirote une boisson sucrée,
c’est ce qui nous distingue.
Comme moi, la clarté lui crève les yeux.
Comme lui, la clarté me fissure l’esprit.
Il ne me surprend pas quand mon regard rampe vers lui.
Je ne le surprends pas quand son regard rampe vers moi.
Il est paisible,
comme mer de possibilités,
moi aussi.
Il laisse un pourboire au serveur.
Je laisse un pourboire au serveur…
Une mélodie plane entre nous.
Je lampe la musique de sa boisson.
Il lampe la musique de ma boisson.
Je ne lui dis pas : Le ciel est comme un smog londonien aujourd’hui.
Il ne me dit pas : Le ciel est comme un smog londonien aujourd’hui.
Il est vu et il voit.
Je suis vu et je vois.
Je pivote le visage vers la droite et fixe le barman.
Il pivote le visage vers la gauche et fixe la sortie.
Je me dis :
Est-il le miroir dans lequel je me vois ?
Puis je cherche son regard,
le bleu de ses yeux, son visage
mais il n’est plus là…
Je me casse précipitamment du bistrot,
et je me dis : c’est peut-être un assassin
ou peut-être un passant qui m’a pris pour un assassin.
Dans la mer des choses possibles là où on nage,
il a peur, moi aussi.
Ianmoud Darwonk
Par Nadège Moyart
Hybridation avec le poème de Mahmoud Darwich « Il est paisible, moi aussi » extrait du recueil « Ne t’excuse pas »