Accueil • L’oulipien de l’année • C’est un soir de vent •
Dialogue
Philippe SollersAlors raconte, c’était le soir ?CasanovaOui, un soir de vent, de…Philippe SollersDevant… tu étais devant elle ?CasanovaFichtre non, un soir de vent, avec du tonnerre d’enfer, la grosse caisse quoi, et la flotte !Philippe SollersHé hé, la pluie du soir n’arrête pas le libertinCasanovaLa pluie non, mais les portes et fenêtres fermées…Philippe SollersTout était fermé ?CasanovaMais oui, je ne la voyais même pas à sa fenêtrePhilippe SollersComment, elle ne t’attendait pas ?CasanovaElle m’a dit plus tard qu’elle était plongée dans la lecture…Philippe SollersDe romans de Sade pour lui ouvrir l’appétitCasanovaMais non mon vieux, elle lisait une bande dessinée des Hauts de HurleventPhilippe SollersAh elle est bien bonne ! Elle lisait au sec les Hauts de Hurlevent, et toi tu étais dehors sous la pluie…CasanovaÀ tambouriner à sa porte, mais elle n’entendait rien…Philippe SollersDame, j’ai toujours dit qu’un roman était plus vrai que la vie, et le vent qui hurle dans un roman plus fort donc…CasanovaTu parles, moi je vivais les événements en « réel », un coup de tonnerre par ci et la pluie persistante qui se change en pluie d’orage…Philippe SollersToutes deux aussi mouillantesCasanovaL’une que l’autre, je ne faisais guère la différence, trempé jusqu’aux os j’étaisPhilippe SollersEt rien pour t’éclairer ?CasanovaDes éclairs tantôt nets tantôt diffusPhilippe Sollers, en apartéEt pas le moindre éclair dans sa cervelle pour le sortir de là !CasanovaEt le tonnerre, le vrai, qui me déchirait les tympans, qui me fouettait les frondaisons dans les gris du soirPhilippe SollersL’eau te rendait gris ??CasanovaTu te moques, prends garde à toiPhilippe SollersCarmen…CasanovaJe me disais : pour ouvrir cette fenêtre, il me faudrait un bélierPhilippe Sollers, chantantSi j’avais un bélierJe cognerais le jourJe cognerais la nuitJ’y mettrais tout mon cœur…CasanovaArrête ! Tout mouillé que j’étais, j’aurais voulu être changé en pluie pour m’infiltrer par le cadre de cette maudite fenêtrePhilippe SollersDu vent tout cela, en fait tu as manqué ton coupCasanovaUn homme trempé, l’herbe trempée, qui des deux aurait encore voulu de l’eau ?Philippe SollersAh tonnerre ! Ta déconfiture me fait sauter comme un enfant !CasanovaEt le vent qui m’étouffait…Philippe SollersStop, arrête, gong final, va te coucher tout mouillé !---Extrait des « Dialogues des grands hommes, par delà vie et mort » de Georges Bernanous