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Crochet revu et augmenté
La demoiselle, solide comme le granit, est récalcitrante, son visage se ferme d’un froncement compact. D’un geste agacé, elle lisse les plis de sa robe. S’y drape, ainsi que dans sa superbe.Parfois, vous ne trouvez pas la moindre repartie capable d’entrouvrir ses lèvres d’une fissure pour laisser passer ce petit rire bref, avant de le barrer en se refermant.Pas le moindre jeu de mot métaphorique, qui d’accoutumée, comme le trou normand rompt le repas le plus éprouvant, n’a pas son pareil pour stopper sa course, lui dessiner un monde riant sur lequel elle promène un œil indulgent.Pas la moindre épigramme qui l’arrête dans sa fuite, pour lui ouvrir l’esprit et échancrer un peu la cuirasse qui enserre son cœur.Il faudrait la déflagration d’une bombe pour le faire palpiter dans le secret de son torse.Et la donzelle poursuit sa voie, s’enfuit, elle vous rappelle Athena and The Shield, la déesse et le bouclier.Lorsque les idées pour aplanir les aspérités de votre relation font défaut, et que toute attitude est perçue comme une pose de Don Juan, que le monde matériel ne semble rien offrir comme point d’appui pour soulever la lune, comme assurage pour ne pas dévisser et que l’idée même de toute progression est impossible,Il reste un moyen. Unique. Ultime.La réserve des grands cas.Vous prenez un raccourci, faites un crochet par la ferme d’à côté, celle de la vieille Renée, immobilisée par la goutte, et atteignez le clapier derrière les flaques d’eau de la cour.Vous choisissez deux beaux petits lapins, c’est un simple emprunt. Pour ouvrir, vous levez le crochet de métal qui ferme la porte. Prenez garde aux incisives, pointues et acérées.Vous n’avez pas oublié comment le rire est un hameçon à demoiselles, fussent-elles de granit.Vous emportez le duo de lapins jusqu’au puits, en saisissez un par les oreilles et posez sur lui le seau à l’envers. Vous vous cachez dans le puits lui-même, à fleur de margelle, le pied en appui sur une écaille de rocher qui saille.Cachez vous bien, ne laissez dépasser vos yeux que d’un tout petit millimètre.Voilà, elle arrive, soulève le seau : le lapin apeuré jaillit, il bondit entre ses pieds et se réfugie dans ses jupons. C’est un bien beau lapin que vous lui avez posé.Elle est encore toute perplexe et amusée, comme elle fixe le seau à l’extrémité inférieure de la corde, celle qui est pourvue du crochet. Vous suspendez votre rire, vous vous pelotonnez dans une petite cavité de la paroi du puits juste à votre échelle. L’ombre du seau et de la corde passent à moins de trois pouces dans leur vertigineuse marche vers le fond.Vous vous abstenez de respirer.Vous posez le pied sur l’écaille saillante, c’est la première marche de votre reconquête. Vous prenez garde de maintenir le sommet de votre crâne à un niveau largement inférieur à la margelle, de sorte qu’elle ne vous voie pas tout de suite.Et vous chargez lentement tout le poids de votre corps sur cette mince écaille, caché par la margelle.Très lentement. Tout geste brusque peut faire échouer le stratagème. De quelques petits coups de pied, vous videz un peu d’eau du seau au passage, sans déloger le crochet, puis posez le lapin restant sur le rebord du seau. Il a la pétoche, un à-coup et il dévisse de sa maigre encoche.Progressivement, votre lapin s’élève vers la demoiselle, son poids n’a pas donné l’éveil. Le seau tangue et se déplace à l’aplomb du crochet.Au fur et à mesure, le crochet emmène le lapin vers elle. Cette fois, vous voulez vous montrer en même temps que lui. D’autant que votre cachette n’est pas d’un grand confort, chaque caillou tranchant enfonce sa pointe dans votre chair, la roche est froide, et il se trouve que vous êtes douillet et frileux. Vous vous entreprenez l’escalade, sans vous montrer, jusqu’à vous accroupir derrière le haut de la margelle, sur le bout d’une dalle dont on avait, il y a longtemps, consolidé le puits.Encore un instant : elle a vu le lapin, elle rit. Le plus lentement possible, vous vous élevez.Évitez à présent tout effacement : il faut aussitôt cueillir le prix de la hardiesse. Avant qu’elle ait pu vous regarder de haut, vous posez sur ses lèvres ce pour quoi vous la pourchassiez. Ce n’est qu’à cemoment que dérape la pointe du pied sur lequel vous reposez entièrement.L’air vibre de votre plongeon.Elle ne capitula point, Olivier Salon