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C’est le soir dit-on...
C’est le soir dit-on, peut-être même la nuit, mais une nuit qui dure depuis des heures, est-ce encore le soir ? Je ne crois pas. Oui, c’est sans doute une heure quelconque de la nuit, impossible de savoir s’il y a quelques minutes ou bien quelques heures que le vent souffle dans l’obscurité, que le tonnerre gronde, et que la pluie discourt contre la fenêtre avec un bruit de tambour. Elle est dans ma chambre, peut-être s’ennuie-t-elle. Mais non, je la vois d’ici plongée dans la lecture d’une bande dessinée, peu importe laquelle, tant le savoir pressé d’arriver à ses fins m’indiffère. Et moi, où suis-je dans ce récit ? Dans ma chambre ? Je ne crois pas. Plus sûrement sous la pluie persistante qu’un brusque coup de tonnerre change en pluie d’orage. Mais est-ce bien la pluie, ce bruit de lessive comme lorsqu’on fait danser le linge dans la lessiveuse avec un bruit de succion et de glouglou ? N’est-ce pas plutôt le tonnerre qui me fouette les frondaisons dans les gris du soir ? Qui pourrait le savoir ? On tend si souvent la main dans l’espoir d’attraper une preuve où l’on ne saisit que du vent ! Quel ennui. Dans cette masse noirâtre et ruisselante qui est tout ce qui reste de l’air et du ciel, il m’apparaît pourtant clairement et distinctement que de minces fils de pluie s’infiltrent par le cadre de sa fenêtre, poussés par les coups de bélier que le vent assène. Peut-être. Mais la nuit sans souffle est une autre tempête, faite d’innombrables halètements que je m’amusais autrefois à dépister. Quelle misère. Il me faut subir le tonnerre qui me fait sauter comme un enfant, et ce vent qui étouffe le gong qui martèle les heures de la nuit.
Sam Mathews « Malone meurt sous la pluie »