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Annanversaire
Une heure furtive de train à grande vitesse après la capitale, un quart
d’heure supplémentaire de métro souterrain puis aérien nous
déposèrent aux portes du Théâtre du Prato, temple du Faux Nez converti
pour un soir au Sonnet. Comment nos corps en mouvement n’avaient-ils
perçu aucun souffle, aucun effluve de la fine poussière couleur de
houille et de laine qui imprégna le pays des corons et des filatures ?
Métro est anagramme de morte. Nous nous souvînmes de la robe en soie de
la Belle Dame de l’an passé. C’est que, captifs du sifflement
lancinant du convoi, nous l’avions remarquée assise là-bas, spectre
déjà vu la minute d’avant une station en deçà, sans que le vent du
parcours n’ait envolé sa chevelure, ni plaqué sur sa cuisse et son
sein la soie légère.
Arrivés à quai, nous lûmes le Programme de Zazie Mode d’Emploi au 13
octobre. S’y trouvait prédite la suite de notre voyage...
« Au Théâtre du Prato, le soir où choiront les premières feuilles
d’automne, la Liste Oulipo soufflera ses dix ans à quelques jours
près. Chaque sociétaire présent tirera au hasard une carte hors d’un
sac de toile. Sur cette carte sera imprimé un poème à lire séance
tenante, pourvu qu’il apparût quelque jour ou quelque nuit depuis dix
ans sur la Liste Oulipo. Le sort désignera aussi bien l’épique éclat
d’une pièce séricicole caprine, l’inconsolable ténébrosité d’un
avatar abaclarien, la cinglante brièveté d’un pangramme, le retour du
mordodrome que la rigidité de l’okapi. Certains textes seront limpides
et simples, d’autres plagiés par anticipation, quelques-uns enfin
tumultueux et abscons. Mais aussi contraintes soient ces pages, tous les
lecteurs de la Liste Oulipo les énonceront à la lettre, sans amertume ni
révolte, à l’heure du souper au bar du Prato. »
Nous fîmes part aux organisateurs de notre étonnement. Ils se
bidonnèrent, se boyautèrent, se dilatèrent la rate, se fendirent la
pipe, se gondolèrent, se poilèrent, se tordirent ; comme des baleines,
comme des bossus, aux éclats, aux larmes, à en pleurer, à en mourir.
Puis conclurent :
– Ça n’est rien de déclamer chez les clowns le poème le plus tordu,
pourvu que ce soit de rire.