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Albatros à rebours
Le poème L’Albatros est sublime, tout le monde en convient. Mais la balourdise de le récrire à l’envers, en commençant par dévoiler l’analogie de l’oiseau et du poète — comme une première page de roman policier trahirait d’emblée son dénouement — neutralise tout enchantement. Elle le plombe indubitablement sous la lumière crue de la contingence : voici un point de vue rebattu, anéantissant ce qui auparavant était paré du charme des symboles.
Sa marche est sans espoir, car immense, son aile
sous la bronca l’amarre au sol du non-retour.
D’archer dont il se rit, du grain qu’il ensorcelle
et du ciel souverain fût-il le troubadour.
Il volait, cet infirme, à présent grabataire
et brûle-gueule au bec afin de l’outrager ;
laid comique combien ! Autant que beau naguère,
veule et gauche dès lors, ce velet voyageur.
À son côté ne tient, qui traînerait pour rame,
qu’albe aviron géant piteusement pataud.
Honteux et maladroit, d’azur, le vénérable
sur les lames du pont fut jeté de sitôt.
L’amertume est un gouffre, y glisse la voilure
des exodes communs, l’indolence suivant
en mer l’oiseau majeur : Albatros, ô capture
dont l’équipage humain s’est amusé souvent !