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Les motifs de l’émotif

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Les mots que je n’ai pas prononcés, n’allez surtout pas croire, auditeur, que je ne les aie pas pensés.
Bien au contraire (que cela une seule fois ne soit pas prononcé) ils sont juste retenus par la procrastination de mon encyclopédie mentale. Ils existent dans les pensées, les paroles, les discours, les annonces, les rêves, les espoirs, les désirs, par images, par idées, par phonèmes, par syllabes, par hasard.
Mais il y autour d’eux tant de verbiages superfétatoires, ils sont englués dans une telle profusion de matière parlée, pensée, rêvée que moi-même à vrai « dire » malgré tous mes efforts, n’ai pas réussi à les épeler, à les balbutier, à les articuler et à les propulser.
Le monde en fait me semble rempli d’usurpateurs, perroquets qui affectent ma prise de parole d’un long trac malgré les tentatives renouvelées de récupérer et lancer dans l’air ces fines particules empruntées à mes mots futurs, fussent-ils futiles.

Marcel Pénadébuter, Pourquoi je rêve qu’on me dise t’aurais mieux fait de la fermer au lieu de t’as pas réussi à en placer une, Espoirs du XXe siècle, Hachette 2006.