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Expansions

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L’Etranger, Albert Camus (1942)

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » (a b c d e)

Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ignore la date de son trépas. Elle n’a pas passé la porte. Peut-être s’est-elle claqué l’aorte. Elle disait qu’elle était raplapla. Moi, je ne l’entendais pas. Il aurait fallu que je la sorte. J’ai reçu un télégramme de l’asile que m’a porté un imbécile : « Mère décédée. Enterrement demain. À onze heures du matin. Sentiments distingués. » (abba abba ccd eed)

Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar (1958)

Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie. L’examen devait se faire à jeun. 

Je suis descendu ce matin - chez mon médecin Hermogène - plus connu sous son prénom d’Eugène, - le sage de Romorantin / Je l’ai trouvé plutôt mutin - et cela un peu me gêne, - ce spécialiste du cancérigène - qui tient en mains mon destin, / qui vient de rentrer à la Villa - suivant un passage à la Scala - après un assez long voyage en Asie. / L’examen devra se faire à jeun - je devrai donc rester sur ma faim -et redouter l’euthanasie. /

Je suis descendu ce matin - chez mon médecin Hermogène - car je sentais comme une gêne - du côté de l’un de mes reins. - Que t’arrive-t-il, cher Hadrien ? - Qu’est-ce qui t’amène - chez ton ami Hermogène ? - me demande mon médecin / qui vient de rentrer à la Villa - via Aureliana - après un assez long voyage en Asie. / L’examen devait se faire à jeun. - Hermogène me prescrivit - une cure de pruneaux d’Agen.

Je suis descendu ce matin
Chez mon médecin Hermogène ;
J’avais grand besoin d’oxygène.
Il me fallait un examen.

Et pourquoi faut-il être à jeun ?
Fébrilement, je me démène :
J’ai bien l’air d’un énergumène.
Je vais passer pour un crétin.

De loin, je crois voir sa villa.
Est-ce bien ell’ que je vis là ?
Serait-ce un médecin nazi ?

Alors, avoir fait, à mon âge,
Le chemin du dernier voyage ?
J’aimerais mieux fuir en Asie.

L’amant, de Marguerite Duras (1984)

Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle...

Un jour, j’étais âgée déjà, - dans le hall d’un lieu public, - il portait une tenue des temps bibliques -un regard fixé sur l’au-delà / je lui dis : que faites vous là ? - La situation me semblait critique - cela me fit reprendre mes tics - mais qui était donc ce gars ?/ Un homme était venu vers moi - faisant naître mon émoi - il s’est fait connaître et il m’a dit/ « je vous connais depuis toujours. - Ce fut le plus beau de mes jours - je m’en souviens, c’était un mardi.

Le chiendent, Raymond Queneau (1933)

La silhouette d’un homme se profila ; simultanément, des milliers. Il y en avait bien des milliers. Il venait d’ouvrir les yeux et les rues accablées s’agitaient, s’agitaient les hommes qui tout le jour travaillèrent.

La silhouette d’un homme se profila ; - simultanément, des milliers. Il y en avait bien des milliers. - ça en fait du monde, oh la la ! / Tu veux du peuple, en voilà ! - La plupart circulaient à pieds, - beaucoup d’ingambes et quelques estropiés, - ça circulait par ci par là. / Il venait d’ouvrir les yeux - dans les avenues en plein milieu - et les rues accablées s’agitaient, / s’agitaient les hommes qui tout le jour travaillèrent. - Et les rues et les hommes s’agitaient, - toute une humanité qui désespère.

La disparition, Georges Perec (1969)

Trois cardinaux, un rabbin, un amiral franc-maçon, un trio d’insignifiants politicards soumis au bon plaisir d’un trust anglo-saxon, ont fait savoir à la population par radio puis par placards, qu’on risquait la mort par inanition.

Trois cardinaux, un rabbin, un amiral franc-maçon, - un trio d’insignifiants politicards - cinq obscurs scribouillards - soumis au bon plaisir d’un trust anglo-saxon, / maints fantassins sur un camion, - six marins (faux champions, vrais lascars), - circulant non par auto mais dans un car, - ont fait savoir à la population, / par radio puis par placards, -qu’avant qu’il soit trop tard - on risquait la mort / par inanition. - qu’on subirait la punition. - Fallait-il qu’on ait tort !

Vestiaire de l’enfance de Patrick Modiano (1989)

La vie que je mène depuis quelques temps / m’a plongé dans un état bien particulier /. J’ose à peine évoquer ma vie professionnelle / qui se résume maintenant à peu de chose /, l’écriture d’un interminable feuilleton radiophonique/.

La vie que je mène depuis quelques temps
M’a plongé dans un état bien particulier
Surtout quand je monte un escalier
Et qu’ au cinquième étage mon amante m’attend

Il faut dire que les bons plans d’antan
Partagés à la lueur des chandeliers
Où on ne s’embarrassait pas de souliers
Car on se susurrait des histoires de « zizipanpan »

J’ose à peine évoquer ma vie professionnelle
Quand je drague une belle jouvencelle
Qui se résume maintenant à peu de chose

L’écriture d’un interminable feuilleton radiophonique
Alors que j’adhère à la métempsycose
Ce qui me provoque de sérieuses coliques.

Expansion de débuts de romans par sonnets plats (cf. Frédéric Forte, 33 sonnets plats, aux éditions de l’Attente, 2012)